"Portons un regard positif sur la diversité et l'inclusion en entreprise"

Avec gentli, je souhaite partager des pistes pour repenser l’entreprise et le travail de demain. Ça passe notamment par le développement d’une société et d’organisations plus inclusives. Pour ce deuxième entretien, j’ai souhaité échanger avec Delia Mensitieri, chercheuse et consultante en diversité et inclusion.

Bonjour Delia ! Nos chemins se sont croisés il y a quelque temps à travers le Brussels Impact Club, une communauté d’acteurs de changement positif. Depuis, j’ai toujours voulu discuter avec toi des thématiques qui t’animent : la diversité et l’inclusion. Je te remercie d’avoir accepté cet entretien.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, peux-tu m’en dire plus sur toi et tes activités ?

Je suis née et j’ai grandi à Bruxelles. Je pense que c’est ce qui a nourri depuis toujours ma passion pour la diversité et l'inclusion. Dès l’enfance, j’ai fréquenté une école multiculturelle, nous avions toutes et tous des parcours et origines variés. Cette mixité sociale m’a appris beaucoup de choses, notamment la connaissance du français. Je suis néerlandophone de base, mais dans la cour de récré, on parlait toutes les langues. C’était quelque chose de tout à fait normal.

C’est en commençant mes études supérieures que j’ai réalisé que la diversité et l'inclusion n’étaient pas des phénomènes si innés. Que ça soit à l’Université de Louvain ou celle de Gand, je ne retrouvais plus la mixité à laquelle j’étais habituée. J’avais l’impression que tout le monde se ressemblait. C’est de là que viennent mon engagement et mes premiers questionnements : comment changer cela ? Pourquoi mes copines de la cour de récré n’ont-elles pas suivi le même parcours que moi ?

Ces interrogations m’ont suivie dans mon travail. J'ai été psychologue avant de rejoindre une boîte spécialisée dans les innovations technologiques. C'est là que j'ai compris que la diversité et l'inclusion en entreprise n'étaient pas perçues comme des opportunités, mais plutôt comme des problèmes. Ce constat a nourri mon envie d’accompagner les entreprises à mener des politiques de diversité et d’inclusion.

J’en ai fait mon métier. Aujourd’hui, je collabore avec des entreprises pour les guider sur ces questions. En parallèle, je réalise une thèse sur le sujet en cotutelle à la Vlerick Business School, l’Université de Gand et à l’Université libre de Bruxelles.

C’est donc Bruxelles, l’une des villes les plus cosmopolites au monde, qui est à la source de ta vocation ?

Oui, en quelque sorte. Comme je suis à moitié belge et à moitié italienne, j'ai toujours eu cette tension entre ces deux cultures. Quand je vais en Italie, on m'appelle "Delia la Belge". En Belgique, on me demande d'où je viens ou on me complimente sur ma connaissance du néerlandais et du français. Les gens sont surtout focalisés sur la partie des autres qu’ils ne connaissent pas. Je pense que beaucoup de personnes, ici à Bruxelles, vivent dans cette dualité.

Quel a été ton cheminement entre ton métier initial de psychologue, ton passage dans le monde de la tech et tes activités actuelles d'accompagnement des entreprises, sans oublier le démarrage de ta thèse ?

J'ai eu un parcours atypique. Après les études de psychologie, j'ai décidé de faire un Master en Management. En plus d’aider les gens, je voulais aider les entreprises. J’ai donc pensé naïvement que ce diplôme supplémentaire m’aiderait dans cette voie. Ce ne fut pas tout à fait le cas puisqu’il m’a surtout fait entrer dans le monde des start-up. Après quelques années, je me suis dit : “Mais qu’est-ce que je fais là ?” ! Ce qui me passionnait, c’était les thématiques de diversité et d'inclusion, ainsi que l’envie de faire évoluer les mentalités. Avec le recul, évoluer vers la recherche et l’accompagnement des entreprises est un retour aux sources : le changement de comportement est un principe de base en psychologie.

Entrons au cœur de la diversité et de l’inclusion. On entend beaucoup parler de “D&I” ou de “DEI” en entreprise, peux-tu expliquer ces concepts et les nuances qu’il existe ?

La diversité est un concept assez simple. Dans un groupe, c’est ce qui nous rend unique par rapport aux autres. Elle peut se manifester de manière visible, à travers le sexe, la couleur de peau, la couleur des cheveux… Mais aussi de manière invisible à travers la personnalité, l’orientation sexuelle, la neurodiversité, les hobbys… Quand on parle de diversité, on pense généralement aux différences femmes/hommes, autochtone/allochtone, à l’âge, aux handicaps… Mais la diversité comprend mille et une facettes ! C'est donc crucial de déterminer lesquelles d’entre elles sont pertinentes pour une entreprise.

L'inclusion est quelque chose de plus abstrait et de moins évident. Je vais utiliser une métaphore pour expliquer la nuance avec la diversité. Imaginons que je commence à avoir faim, si j'ai une mentalité de diversité, je vais dans le frigo et je prends tous les ingrédients que j’y trouve. Je ne réfléchis pas à comment les préparer, je mélange simplement le tout dans mon assiette. Les chances d’obtenir un plat savoureux sont très faibles. Si j’ai une mentalité d’inclusion, par contre, je vais réfléchir à une recette et me demander : comment cuisiner les ingrédients dont je dispose en un plat savoureux ? Comment mettre en valeur leurs particularités ? Et si j’ajoutais un peu de curcuma pour donner quelque chose d'extra au plat ? L’inclusion, c’est faire en sorte que la diversité fonctionne.

Se contenter de mettre ensemble des gens qui sont différents n’est pas suffisant. On dit que la diversité est bonne pour la créativité, l'innovation, la performance… Mais ce n’est pas toujours le cas. Si on rassemble des personnes qui ne se ressemblent pas, leurs différences peuvent être source de conflits. Pour gérer ces relations, on a besoin d’inclusion.

Comment l’inclusion peut-elle se concrétiser au sein d’une entreprise ?

Il est essentiel de se pencher sur tout le processus de fonctionnement de l’entreprise. Au niveau du recrutement, l’inclusion consiste à prendre conscience des biais existants en entretien d’embauche afin d’offrir les mêmes chances à tout le monde. Au niveau du leadership, un manager doit écouter toutes les opinions dans son équipe, même celles qui ne vont pas dans son sens. Plusieurs pratiques peuvent être mises en place afin de créer ce sentiment d’inclusion qui se situe à l’intersection de l’authenticité et de l’appartenance.

En résumé, une entreprise inclusive est un lieu où l’on peut être soi-même, dans son entièreté, tout en faisant partie du tout.

J’ai enfin bien compris la nuance entre diversité et d’inclusion ! Par contre, il y a encore un élément qui m’échappe, c’est ce “E” dans l’acronyme “DEI.”

C’est le “E” d’équité dans “Diversity, Equity, and Inclusion”. L’équité consiste à appliquer un traitement juste à tout le monde. Il s’agit d’offrir aux individus les outils pour qu’ils puissent faire leur travail de manière optimale, malgré leurs différences. Nous portons par exemple toutes les deux des lunettes, c’est ce qui nous permet de voir correctement et de fonctionner comme les autres. Il faut être conscient que tout le monde n’a pas les mêmes outils dans la vie. Ce n'est pas parce que ces personnes ne sont pas capables de faire des choses, c’est juste qu’elles ont besoin d'un petit soutien supplémentaire pour y arriver.

Quelles sont les raisons pour lesquelles les entreprises démarrent une réflexion sur leur politique de diversité, d’inclusion et d’équité ?

Il y a trois grandes raisons pour lesquelles les entreprises font appel à moi.

La première, c'est quand une entreprise a déjà enclenché une réflexion sur son rôle social et qu’elle veut pouvoir être représentative de la société qui l’entoure. La diversité et l’inclusion représentent une valeur clé en interne qu’il faut mettre en action.

La deuxième raison, la plus courante, c’est quand une entreprise est contrainte à changer car elle reçoit des instructions de sa direction. Souvent, le siège se situe aux États-Unis ou au Royaume-Uni où il existe déjà une certaine maturité en matière de diversité et d’inclusion. Parfois, cette “contrainte” provient du fait que l’entreprise a été accusée d’un ou plusieurs cas de discrimination.

La troisième raison, c’est quand une entreprise veut “bénéficier de la diversité” dans le but de toucher un nouveau marché ou public cible. Pour être crédible, l’entreprise sait qu’elle va devoir changer.

Quels arguments utilises-tu pour convaincre une entreprise de s’engager pleinement dans cette démarche ?

Pour véritablement changer les mentalités, les statistiques seules ne fonctionnent pas. Je préfère utiliser des histoires, elles permettent de donner un visage aux chiffres. Quand j'ai la possibilité de m’entretenir avec les membres d’une entreprise, je peux alors partager des exemples concrets et confrontants. Ils permettent de conscientiser les personnes que j’ai en face de moi aux défis existants.

Quels sont tes conseils à une entreprise qui souhaite se lancer dans une démarche de diversité et d’inclusion ?

D’abord, je lui dirais d’aborder le sujet de manière positive. La diversité est naturelle et elle est chouette ! Cet état d’esprit est essentiel pour réussir à changer les choses. Ensuite, il faut motiver les équipes en travaillant sur la compréhension des enjeux au sein de l’entreprise. L’enjeu principal peut être, par exemple, la concrétisation des valeurs de l’entreprise, ou la stimulation de la créativité des employés. Définir le fameux “pourquoi” de l’entreprise est essentiel. À mes yeux, un chiffre ou un KPI (Key Performance Indicator) ne peut pas être le but de la démarche. Les chiffres, ça ne motive pas les gens ! Il faut donc absolument définir un objectif plus grand avant de le diviser en indicateurs de performance.

Comment combines-tu ta thèse avec tes activités professionnelles ?

Je travaille en tant qu’indépendante à temps plein pour des entreprises. En parallèle, j'ai eu cette idée lumineuse de me lancer dans un doctorat ! (Rires). Ce n'est pas évident à combiner, mais comme c'est lié à mes activités quotidiennes, je trouve cela important. J’aime pouvoir combiner l’académique et l’expérience de terrain. La recherche me permet de prendre de la hauteur sur mon travail, tout en le nourrissant de concepts à explorer.

En quoi consistent tes recherches ?

J’analyse l’inclusion en entreprise et je tente de définir comment la mesurer. Comme je l’ai expliqué, l'inclusion est plus complexe que la diversité parce qu’elle agit à de multiples niveaux. Je travaille aussi sur les barrières à l'inclusion et sur la manière de les faire tomber.

Pour l’instant, je suis en train de développer un projet qui nous permettra d’observer et de détecter les “micro-agressions”. Ce sont des signaux qui indiquent à des personnes qu’elles ne sont pas les bienvenues dans leur environnement de travail. La complexité de cette notion provient du fait qu’un comportement perçu comme discriminant par l’un ne l’est pas forcément pour l’autre. Ce qui signifie qu’une personne victime d’une micro-agression n'est pas toujours consciente que ça lui arrive.

On sait aujourd’hui que ces événements peuvent avoir un impact au niveau du subconscient des gens, ils vont garder ce trauma sans s’en apercevoir. Il existe donc un large spectre de réactions possibles face à une micro-agression et nous sommes occupés à les découvrir. Pour ce faire, on a créé la plateforme “Again & Again” pour que les gens puissent partager les micro-agressions vécues au travail. On leur demande de décrire les sentiments que ça a engendré en eux. Les études récentes sur la question sont principalement américaines ou britanniques, ça nous permettra d’avoir un état des lieux propre au contexte belge.

Ma newsletter s'appelle gentli, parce que je suis convaincue que malgré l'urgence et la gravité des enjeux sociaux actuels, le changement doit se faire en douceur. D’après toi, qu'est-ce qui mériterait d'être traité avec un peu plus de douceur à l'avenir ?

Je m’adresserai à tous ceux qui disent que les bonnes intentions ne suffisent à changer les choses. Je suis convaincue que si les gens ont des bonnes intentions, alors ils sont enclins au changement et c’est déjà un premier pas. Ils ont simplement besoin d’un coup de pouce pour y arriver. Il faut avoir de la gentillesse pour ces gens qui essayent, même s’ils font preuve de maladresse. Il faut saluer les petits efforts. Oui, on peut se dire que la personne en face de nous est toujours trop conservatrice ou fermée d’esprit, mais si elle s’ouvre ne serait-ce qu’un tout petit peu, alors il faut célébrer cette évolution.

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Vous pensez être ou avoir été victime d'une micro-agression au travail ? Partagez votre témoignage sur Again and Again et faites avancer la recherche !

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